La photo montre une petite partie d’un large ensemble de papiers peints historiés qui forment un décor d’oiseaux et de végétaux sur les murs du cabinet chinois d’un petit château français du XVIIIème siècle.
Ou plutôt, « qui ornait ».
Pour pouvoir être soigné par une importante opération de restauration – et il en avait bien besoin- il a fallu le déposé du mur où il vivait pour aller rejoindre l’atelier d’un restaurateur aimant et attentionné.
Vous pouvez me croire, retirer avec soin du papier collé au mur depuis plus d’un siècle et qui n’a pas du tout envie de s’en aller-merci-beaucoup-pas-la-peine-de-repasser n’est pas une sinécure.
J’en ris encore.
Loin, loin, loin en dedans.
Pour avoir une petite idée de la façon dont les choses se sont faites, vous pouvez aller voir comment le Victorian and Albert museum fait. La méthode est plus ou moins toujours la même, au nombre de personnes et aux échafaudages et engins de levage près. Les litres de sueur perdus à faire une franche imitation du ouistiti en haut d’une échelle aussi.
Le retrait des moulures décoratives qui servaient d’encadrement visuel des panneaux de papiers peints a permis de mettre à jour des éléments jusqu’ici protégés de la lumière depuis que le décor a été posé.

Quelle différence de couleurs ! La partie gauche de l’image montre le papier tel qu’il est maintenant : jauni, terni par une espèce de vernis pulvérulent qui s’accroche à tout ce qu’il touche. Un peu comme quand vous touchez les ailes d’un papillon. La partie droite est une version digitale du papier peint tel qu’il pouvait être lors de sa fabrication en utilisant les éléments découverts comme référence.Selon vous, comment devrait-il être restauré pour être visuellement acceptable ?
Pour ceux qui ont répondu « on enlève le vernis jaunâtre moche et on essaie de se rapprocher du blanc, et on rajoute de la couleur là où elle n’est plus assez présente », c’est raté.
Vous ferez mieux la prochaine fois !
Bon, d’accord, j’ai un peu triché en orientant la question mais c’est que je voudrais souligner un aspect peu connu du grand public en matière de restauration qui occupe pourtant les journées des professionnels lors des préparations d’intervention.
Reprenons l’exemple du papier peint.
Tout d’abord, il y a peu de chances qu’un papier aussi vieux, exposé à la lumière, aux fumées, aux gaz, à l’humidité et à la poussière soit resté blanc sous la couche jaunâtre. Les matériaux qui le constituent ont sans doute déjà lâché prise sur le sujet : apparition de tâches rousses, voire noires, rétractation des fibres ou encore jaunissement général.
Ensuite, le vernis jauni n’est pas aussi problématique qu’il semble l’être au premier abord. Les sources historiques sont difficiles à trouver sur le sujet mais il y a 50 % de chances qu’il ait été posé dès la mise en place du décor. Alors, d’accord, il n’a pas bien vieilli mais son rôle est de protéger le papier, pas de faire de l’œil aux touristes.
Le retirer serait aussi retirer une information historique importante de la façon dont les choses étaient faites et vues. Même si le jaunissement s’est accru avec le temps, il était probablement déjà teinté lorsque les occupants du château croquaient des macarons dans leur salon chinois.
Oui, ils croquaient des macarons. Vous l’ignoriez ?
Considérons maintenant le décor dans un contexte chronologique qui prend en compte la vie du château lui-même. Pensez-vous que, les années passants, les habitants et les visiteurs étaient plus habitués à voir un décor chamarré et rutilant sur fond blanc ou un décor dans les tons jaunes, aux ornements relativement discrets ?
Gagné. Sans doute la dernière hypothèse.
Conservé, préservé et restauré quelque chose, que ce soit un décor de papiers peint, un vase ou une momie -j’aime autant ne pas en parler, là, les questionnements deviennent exponentiels- revient bien souvent à mener une enquête façon Agatha Christie.
Avant de prendre une mesure quelle qu’elle soit, il est impératif de faire un état le plus exhaustif possible de l’histoire de l’œuvre en recoupant le plus d’informations possibles qui permettent de comprendre pourquoi et comment nous sommes arrivés à voir cet objet dans l’état dans lequel nous le voyons.
Le plus souvent avec de la poussière.
C’est comme cela que des hypothèses peuvent être faites sur les interventions à mener et que le choix final, le plus souvent irréversible -mais ce n’est pas moi qui vous l’ai dit-pourra être un choix éclairé.
Heureusement, tout cela tient plus d’une enquête en fauteuil devant des livres façon Hercule Poirot à faire marcher ses petites cellules grises que des investigations quotidiennes et leur macabre réalité que mènent les services de police.