L’utilisation du crayon pour dessiner, griffonner ou faire des listes de courses commence au XVIe siècle. Son trait semblable à celui de la mine de plomb sans en avoir les inconvénients séduit les artistes et les artisans.
Un siècle avant, Cennino Cennini (1360-1427) décrit une pointe noire, tirée d’un minerai piémontais, qu’il nomme pietra nera dans son Il libro dell’arte (1437). Le nom se décline ensuite selon les auteurs qui en mentionnent l’utilisation en pierre noire, pierre d’italie ou matita nera. L’utilisation de cette mine se fait directement ou par le biais d’un porte-mine rudimentaire, la mine est ensuite protégée par un entourage de bois.
Cette pierre noire est identifiée comme « plombagine » (rappelez-vous la référence à la mine de plomb).
Ce n’est qu’à la fin du XVIIIᵉ siècle que le chimiste suédois Carl Wilhelm Scheele démontre que le minerai ne contient pas de plomb : il s’agit d’une des formes cristallines du carbone, très proche cousine de celle du diamant.
Au XVIIIᵉ siécle, le minéralogiste allemand Abraham Gottlob Werner (1749-1817) forge le terme « graphite » qui vient désigner cette matière, en référence à la racine grecque « graphein » qui signifie « écrire ». Dans la grande famille des crayons, la fonction a toujours précédé le nom !
Jusqu’à la fin du XVIIIᵉ, les mines sont principalement en graphite pur. Les meilleurs gisements européens sont anglais et le blocus continental de la fin du XVIIIèXVIIIᵉme en interdit l’importation.
Il faut donc se tourner vers des mines dont le minerai est de qualité inférieure. L’industriel autrichien Joseph Hardtmuth et le chimiste français Nicolas-Jacques Conté mettent au point, chacun dans son pays, un mélange de graphite et d’argile destiné à remplacer le graphite pur.
Le mélange est compressé dans des moules pour former des mines qui sont ensuite cuites dans un four de potier. Selon le temps de cuisson, la température et les proportions du mélange, les mines sont différentes duretés.
Le niveau de dureté est restitué dans des échelles que les différents producteurs fournissent à leurs clients. Celles de Conté, de Broockmann ou de Faber sont parmi les plus connues. Aujourd’hui, les industriels respectent la norme ISO9180 de 1988, confirmée en 2015. Les codes de lettres restent cependant identiques à ceux donnés initialement par les producteurs anglais et les duretés s’étalent entre « B », pour black et « H » pour hard.
Ces initiales sont parfois difficiles à comprendre dans la mesure où elles font référence à un élément tellement évident que peu d’entre nous y pense…
Comment « fonctionne » une mine de crayon ?
Lorsque la mine est appuyée sur du papier, par exemple, le frottement généré par le geste pour écrire ou dessiner vient déliter petit à petit les couches de graphite qui quittent la mine et se déposent sur le support pour former une marque, un trait ou le texte d’une missive enflammée.
Ce délitage provient directement de la friabilité naturelle du graphite : pur, celui-ci est composé de molécules organisées en plaques superposées les unes sur les autres qui glissent et se détachent aisément les unes des autres.
Unies aux constituants de l’argile -plus précisément au kaolin-, les plaques ne peuvent plus se mouvoir aussi facilement.
Donc, lorsque la quantité de graphite est plus importante que celle de kaolin, le frottement de la mine produit un trait noir – « Black »-, riche, dense, doux, « gras » et qui fait ressortir la texture du support.
Lorsque les quantités s’inversent, le graphite ne peut plus se déposer avec autant d’aisance. La mine est plus dure, « Hard ». Le trait est gris, fin, « sec », dur, précis et ne fait pas ressortir la texture du support.
Les deux autres duretés que l’on retrouve le plus souvent sont « F » pour « fine point » et « HB » : ils représentent plus ou moins le milieu de la gamme de dureté. Leur différence lors des tracés est assez ténue. HB est théoriquement un peu plus « gras ».
Maintenant que vous avez tout compris des différences entre les mines de crayon, petit cas d’école :
Il faut marquer un numéro d’inventaire sur une série de gravures du XVIIIᵉ siècle et le collectionneur vient vous demander votre avis sur la meilleure méthode à appliquer.
Quel crayon lui conseilleriez-vous ?
Rappelez-vous que toutes les interventions doivent être parfaitement réversibles et que vous ne pourrez pas intervenir vous-même.
Réponse :
Bienvenue dans le monde de la conservation du patrimoine !
Vous ne pouvez pas choisir un crayon dont la mine est dure (« H ») : ces mines vont littéralement venir graver le papier. Plus dures veut aussi dire plus agressives pour le support et même après avoir gommé le numéro d’inventaire, il restera irréversiblement entaillé dans le papier.
Par ailleurs, le trait gris pâle qu’elles produisent fait que la majorité des gens a tendance à appuyer plus fortement sur la mine… et aggraver le problème !
Il faut donc aller voir du côté des mines douces (« B »).
Cependant, vous ne pouvez pas choisir un crayon avec une dureté trop faible. Le numéro d’inventaire, par définition discret et de taille réduite, risque de ne pas être suffisamment lisible. En effet, même parfaitement taillées, ces mines manquent de précision. Par ailleurs, si le numéro est ensuite gommé, la diffusion facile du graphite sur le support risque de créer un très inélégant pâté grisâtre très difficile à retirer complètement.
Il vaut mieux rester dans des valeurs moyennes, autour de 3B, et bien insister sur le fait qu’il faut appuyer légèrement pour ne pas marquer le support !