Certains d’entre nous ont dans leurs greniers ou dans leurs caves des cartons entiers de bibelots, babioles et autres curiosités échouées là au fil des années. Il s’y trouve bien souvent la fameuse -très encombrante et très lourde- ménagère de « Mamie ». Sans que la « Mamie » en question ne soit toujours clairement identifiée.
En bref, ce sont des couverts que l’on a toujours connu dans les placards familiaux, dans un coffret tendu de satin et rarement ouvert, car les utiliser exigerait à passer d’abord de longues heures à frotter des morceaux de métal noirci.
Avec le temps, ces ménagères qui comprennent au moins un ensemble de cuillères et de fourchettes, se retrouvent sur les étals des antiquaires, dans les magasins d’occasion et dans les vides greniers. Le plus souvent les couverts en sont toujours bien noircis, car personne n’a eu le temps de frotter la couche d’argent qui les recouvre pour la faire briller. Les plus curieux d’entre vous auront peut-être essayé d’en savoir un peu plus sur ces « trésors » de famille. Vous avez alors été confrontés au monde sans pitié des poinçons et de leur aspect légal.
Ces marques sont de très précieux indicateurs de la qualité, de l’âge et du prix des pièces métalliques argentées. Hélas, ces informations sont masquées par un système codifié et complexe, peu ouvert au profane, même si elles se trouvent maintenant facilement sur la toile. Encore faut-il savoir où chercher !
Les systèmes de codifications par poinçons sont régionaux, nationaux et internationaux, sans compter les marques d’atelier et les variations par métaux. Malins comme vous êtes, vous avez déjà compris où je voulais vous emmener : l’histoire de l’objet. Encore et toujours. C’est votre seule alliée pour triompher du labyrinthe de l’identification d’un objet poinçonné, exactement comme pour tout autre objet d’art.
Prenons l’exemple concret des couverts dont la photographie débute cet article. Les micro-photographies des poinçons ci-dessous ont été prises sur une des cuillères à soupe. Le coffret dont elle est tirée contient 6 fourchettes et 5 cuillères à soupe.

Le coffret date des années 50 et a été conservé en France : « métal alliage blanc » est explicite en soi. Le motif du poinçon est peu clair, mais la mention 84gr indique le titrage, ainsi que l’exige la loi française alors en vigueur et garantit la protection de l’acheteur.
« SFAM » désigne l’atelier de fabrication : un petit détour sur le net permet de retrouver la trace de cette entreprise, la Société Française d’Alliage de Métaux, créée en 1926 à Bornel dans l’Oise1 et devenu « Orfèvrerie de Chambly » en 1973. L’orfèvrerie a fermé en 2004.
L’identification du motif du poinçon au-dessus du titrage est alors plus simple : l’argent fin est très rarement utilisé en argenterie et encore moins dans le cas de couverts. La présence d’un poinçon de bijouterie classique est donc très improbable.
Il reste alors une hypothèse qui est confirmée par l’observation du motif sur d’autres couverts : la représentation d’une poignée de main, profession de « bonne » foi de l’atelier dans la déclaration du titrage en dessous.
Pour la petite histoire, le motif qui orne les couverts est un motif très classique sur l’argenterie européenne depuis le XVIIIᵉ siècle, désigné comme « à filet » ou Chinon » (« fiddle and thread » en Angleterre). Ce modèle a été décliné et popularisé par des maisons d’orfèvrerie renommée comme Christofle ou Puiforçat.
Jouons maintenant au jeu de la roue de la fortune.
À votre avis, quelle quantité d’argent pur serait-il possible de tirer de ce coffret ? Bien évidemment, il y a un piège !
Réponse :
La réponse n’est pas vraiment donnée par les poinçons !
« 84 g » signifie que 84 g d’argent ont été nécessaires pour recouvrir toutes les pièces en alliage blanc de la ménagère. Soit 12 pièces : en effet, les ménagères ont toujours un nombre pair de couverts et surtout le même nombre de chaque espèce, or, dans notre cas, il manque une cuillère.
Ainsi, il serait théoriquement possible de trouver 7 g d’argent (84 g divisé par 12) par couvert, soit, ici, 11×7=77 g. Sauf que…
Une cuillère n’a pas la même forme qu’une fourchette : elle a plus de surface donc elle est recouverte de plus d’argent.
Par ailleurs, la production d’orfèvrerie des années 50 avec des titrages à 84 g a été très prolifique, mais les ménagères complètes comprennent également les petites cuillères, les couteaux et la louche. Je vous fais grâce des couteaux qui sont un cas particulier : la lame n’est jamais en argent et les goûts ne sont plus aux manches métalliques dans la période qui nous préoccupe.
Notre calcul de départ est donc peut-être encore plus incorrect : si la ménagère est incomplète, car il lui manque non seulement des pièces, mais aussi au moins une espèce de couvert, c’est par 18 (6 fourchettes, 6 cuillères à soupe et 6 petites cuillères) et non par 12 qu’il faut diviser la masse d’argent. Avec, une nouvelle fois, une division théorique par couvert qui est fausse puisqu’une petite cuillère n’a pas la même surface qu’une cuillère à soupe qui elle-même est plus petite qu’une louche. On oublie trop souvent la louche.
Le casse-tête continue !
Sans avoir accès à un catalogue de la S.F.A.M. qui permettrait d’en savoir plus, l’hypothèse d’un ensemble incomplet reste valide.
En terme d’argenture, le calcul ne peut donc pas s’appliquer pièce par pièce. Vous comprenez maintenant pourquoi, dans le cas très précis des ménagères et de leurs poids d’argent, un ensemble complet a plus de valeurs qu’un ensemble lacunaire.
Pour informations, à l’heure où nous écrivons ces lignes, le gramme d’argent vaut autour de 0,41€ soit environ 35€ pour 84 g (et pour une ménagère complète !).
1Dossier complet disponible auprès du Conseil régional de Picardie – Service de l’Inventaire du patrimoine culturel5, rue Henry Daussy 80044 Amiens Cedex 1 – 03.22.97.33.73