Avez-vous déjà regardé une pierre précieuse si longtemps que sa forme et le jeu de lumière de ses facettes perdent leur sens ?
Faites-la bouger un peu et c’est encore pire ! Vous ne voyez plus que des triangles blanc brillant.
Perturbations lumineuses
La lumière que renvoie la pierre semble venir de partout et notre vue s’y perd un peu. Pour garder un peu de dignité mentale, on baptise ce phénomène de « feu », « étincelles » ou « scintillement » et on part regarder un mur gris pour se remettre.
Les pierres précieuses sont taillées justement pour que le jeu des facettes entre elles génèrent des phénomènes physiques allant de la dispersion des rayons lumineux (feu), la brillance (impression de couleur) et le lustre (reflet extérieur) aux éclairs de lumière réfléchie (scintillement). L’art lapidaire tente de maintenir l’équilibre entre un maximum d’effets lumineux et les fragilités des cristaux .
Des différences rares et recherchées
Une émeraude est une chose curieuse. Comme la plupart des pierres « précieuses », les couleurs et les tons du cristal dépendent de l’endroit de la planète d’où elles sont extraites. Les émeraudes colombiennes sont réputées avoir des sous-tons de vert-bleu ou de vert-jaune là où les émeraudes russes auraient des tons vert-bleu plus profonds.
Les responsables sont les corps chimiques présents en quantité infinitésimale dans le cristal de béryl qui constitue la base de l’émeraude. L’alchimie complexe qui engendre ces pierres crée aussi des inclusions. Ce sont de minuscules « imperfections » qui vont jusqu’aux microfissures. Une émeraude sans aucune fissure ni inclusion est extrêmement rare, presque mythique ! Ou bien, ce sont des pierres synthétiques.
L’ensemble de ces inclusions est parfois appelé un jardin, dans lequel chaque élément peut être précisément décrit. Tant de poésie ! Ces jardins décrivent une pierre tout autant qu’un nom de propriétaire ou l’analyse chimique de sa composition. C’est même souvent par ce biais que la plupart des émeraudes sont évaluées et connues : par leur paysage, en somme.
Une dernière chose à savoir à propos des émeraudes, c’est leur extrême fragilité. Bien que nées dans les entrailles de notre planète, sous des conditions de pression et de température formidables, une émeraude est aussi fragile que votre théière en porcelaine (autour de 7.5 sur l’échelle de Mohs). C’est pour cela que toutes les émeraudes utilisées dans des bijoux sont enchâssées: pour les protéger de chocs qui leur seraient fatals. C’est aussi pour cela que les techniques lapidaires traditionnelles se restreignent à quelques tailles connues justement pour limiter les risques lors de la taille. Ce sont les tailles rectangle à pans coupés (aussi connue sous le nom de taille « émeraude »), le cabochon, la poire ou encore l’ovale.
Une poire dans un jardin russe
Entre maintenant en scène une émeraude ayant appartenu à la boite à bijoux de Catherine II de Russie (1729-1796). A son coffre à bijoux ? Ou était-ce une série de pièces de son château ? Mystère ! L’impératrice est connue pour avoir aimé et utilisé les parures joaillières dans un but tout aussi décoratif que politique.

En 1874, l’émeraude est offerte à la grande duchesse Maria Pavlovna de Mecklenburg-Schwerin de Russie à l’occasion de ses noces avec le grand duc Vladimir Alexandrovitch .
Vous remarquez le losange sur sa poitrine? L’angle de l’image déforme le bijou mais il s’agit de celui dans lequel est enchâssée l’émeraude de 107 carats. A elle seule, la taille de cette pierre suffit à en déterminer la rareté.
Le bijou ressemblait sans doute à cela:

Vous avez aussi remarqué que la pierre présentée lors de la vente de 2019 et celle-ci sont différentes. L’une est rectangulaire, l’autre taillée en forme de poire.
C’est exact. La pierre a été retaillée par le joaillier Cartier en 1954, passant de 107 à 76 carats. Les sources divergent un peu sur les raisons qui ont motivé cette nouvelle taille. Il semblerait que la décision ait été justifiée par la volonté de son propriétaire d’alors de la départir d’une inclusion trop visible.
Jeu de lumière et sueur froide
Imaginez la pression ressentie par le lapidaire en charge de retailler une telle pierre ! Vous pouvez aussi vous demander en quoi la question peut interesser un blog sur la conservation et la restauration du patrimoine.
Les cristaux et autres gemmes ne sont pas, même pas un peu, le sujet d’opérations de restauration. Ce n’est pas opportun (tout reste lisible) et les possibilités sont physiquement limitées. Peut-être quelques recollages les plus discrets possibles et c’est tout.
Il y a pourtant un moment de l’histoire de cette pierre que les techniques 3D peuvent nous aider à conserver: sa transformation physique.
Oui, j’ai aussi très envie de modéliser des pierres précieuses !
Je plaide coupable.
Dans la deuxième partie, on se penche sur la modélisation 3D de cette pierre dans ses deux états historiques.